|
楼主 |
发表于 2002-11-7 01:19
|
显示全部楼层
les nouveaux serfs
PROLOGUE
Une risée capricieuse pénétra par les baies entrouvertes du salon et fit frissonner la jeune femme assise près d’un homme aux cheveux presque gris. Elle se leva, traversa la pièce d’un pas vif et les referma. Dehors, un vent soutenu agitait les arbres du parc. Plus bas, la vallée du Grésivaudan, entaillée par les méandres de l’Isère, s’allongeait jusqu’à Grenoble. Elle reprit sa place près de l’homme dont le dos voûté semblait écrasé par une immense tristesse que soulignait la gravité de son visage.
Face à eux, dans son fauteuil Empire, le vieillard immobile comme un vieux chêne, mais au regard encore perçant, dévisageait son visiteur, à la recherche de vieux souvenirs.
Le crissement des feuilles d’un volumineux document, défilant sous l’action du pouce du vieil homme posé sur sa tranche, rompait le silence régnant dans la pièce. Son regard se posa sur la jeune femme.
- Dis moi, Sandrine, comment as-tu découvert l’existence de ce manuscrit ?
- J’ai travaillé 5 ans à Paris dans un bureau voisin de celui de monsieur Vigny. La grande amitié qui le liait à monsieur Repelin n’était un secret pour personne. Dès que j’ai appris la nouvelle, je lui ai aussitôt téléphoné.
Le regard du vieil homme se porta de nouveau sur son visiteur. Imperceptiblement il cligna l’oeil, comme pour mieux lire ses pensées .
- Je suis intrigué .... surpris ... Comment l’idée d’écrire cette histoire vous est-elle venue, monsieur Vigny ?
Le visiteur intimidé s’avança sur son siège, toussota pour s’éclaircir la voix:
- En vérité, monsieur le Président ....
- Je vous en prie, pas de « monsieur le Président ». Je ne suis plus qu’un président d’honneur fantoche. Je n’ai plus aucun pouvoir.
Vigny esquissa un petit sourire et poursuivit :
- Pour des raisons de santé ... j’ai pris ma retraite prématurément il y a quelques années. Vous vous en doutez bien, on ne peut pas avoir consacré toute sa vie, toute son énergie à une entreprise et tourner brusquement la page, refermer définitivement le tiroir. Des racines subsistent en nous et elle continue à vivre dans notre tête ... Un virus dont on ne peut se débarrasser.
- Continuez Vigny ... Je vous comprends très bien. J’ai contracté la même maladie. Bien que je n’en fasse plus partie officiellement, je continue à m’intéresser à tout ce qui s’y passe.
- Eh bien, voilà. Au début, j’entretenais des relations avec mes ex collégues. Mais, les gens bougent, partent, disparaissent. De nouveaux responsables apparaissent pour qui, nous sommes des inconnus, des indésirables. De nouvelles barrières tiennent les anciens à l’écart. Très vite, je n’ai plus eu de contacts avec les actifs. Sauf avec mon ami Repelin. Ainsi que vous l’a précisé votre petite fille, nous étions très liés tous les deux. Au début j’étais un peu son conseiller, puis, je suis devenu son confident, son ami. C’était un garçon discret qui n’aimait pas parler de lui. Mais avec moi, il se soulageait en me livrant ses confidences. Il y a quelques mois, peut être la nostalgie des temps passés m’a donné l’idée d’écrire un livre sur la société Merlaine, votre entreprise. Non pas un recueil historique, mais plutôt l’aventure, le parcours d’un employé de cette entreprise. La décrire telle que la voit un simple individu, un de ses membres. Repelin, c’était le sujet idéal. Ma première intention était de parler en priorité des hommes de chantiers, du personnel oeuvrant à l’extérieur. Ces isolés qui loin des murs de l’entreprise se battent, luttent, travaillent dans les pires difficultés et qui dans l’anonymat contribuent à la renommé de notre société.
- Oui. Je vois. Je les connais ou plutôt, je les connaissais bien ces oubliés. Le front plissé, il hésitait, fouillant dans ses lointains souvenirs. Dans un murmure, il continua: Je me souviens encore de certains exploits réalisés par mes monteurs. L’un d’eux, en Colombie je crois, avait construit un téléphérique pour acheminer son matériel dans la montagne. Un autre en Afrique, démuni de moyens de levage, avait empli une fosse de bouts de bois, qu’il retirait ensuite un à un avec un levier, pour descendre un énorme transformateur dans sa fosse. C’était l’époque héroïque. Les temps ont bien changé. Les hommes aussi. Fini les veillées ou autrefois on chantait les exploits des héros qui généraient des contes , des légendes ou des récits passionnants. Ces récits, aujourd’hui, sont remplacés par des comptes rendus financiers, de consultations boursières ou de spéculations juteuses réalisées en bradant le patrimoine des entreprises, que nous les anciens, nous avons eu tant de mal à créer et à faire vivre. Il soupira, fit une grimace et se ressaisissant : Oh ! Excusez-moi, je m’égare. Revenons-en à votre manuscrit. Je suis impatient de le lire.
Le visage de Vigny se dérida un instant.
- Repelin connaissait mes intentions, il m’a transmis ses notes, comptes rendus d’activités et aussi ses agendas. Je les ai rigoureusement respectés. Vous y relèverez très certainement des erreurs, mais je vous livre cette histoire, telle que Repelin l’a vécue.
- C’est bien là l’intérêt. Je suis las de ces comptes rendus soporiques dont on nous abreuve, dans le style : « On est les meilleurs .... Tout le monde il est bon ... Tout le monde il est gentil ». Le ressenti d’un homme, sa vision des événements, son combat, ses joies, ses peines, ses espérances, m’intéressent beaucoup plus. Il est bien regrettable que les nouveaux chefs d’entreprises, à l’image de la société actuelle se désintéressent autant des individus.
Sur ce, il se leva. Vigny en fit de même après avoir discrétement écrasé une larme sur sa joue. Il tendit la main à son visiteur tout en s’appuyant de l’autre sur le rebord de la table.
- Revenez me voir demain à 10 heures. Je vous livrerai mes impressions.
- Mais vous ne l’aurez pas lu entièrement, protesta Vigny surpris.
- Si ! J’attaque sa lecture de suite. Demain, je l’aurai lu.
Le « vieux » n’avait jamais failli à sa parole. Vigny savait que sauf impondérable grave, le père Merlaine tiendrait sa promesse.
- Excusez-moi de ne pas vous raccompagner, ma petite fille le fera pour moi.
Sandrine se leva à son tour et dans un amical sourire fit signe à Vigny de la suivre. |
|