Une toute nouvelle vie commence pour moi. Le premier jour j’accepte avec émotion l’insigne qui porte le nom de l’université, je l’accroche minutieusement à l’avant gauche de ma veste du col Mao. L’insigne brille au soleil, la fierté n’en est pas moins, et mon coeur s’illumine à y penser. Les gens de mon entourage m’envient. Dans la rue, il est facile de repérer de quelle université tu es car il suffit de voir ton logo. On s’affiche avec fierté.
La vie universitaire est d’autant plus exaltante que nous sommes la premier promotion après le débâcle des Quatre. C’est quelque chose et ça se fête. 30 ans plus tard, quand on commémore la trentième anniversaire, j'annonce avec gloire que je fais partie de cette élite privilégiée. C’est un point marquant de l’historie moderne du pays,
À l’École, moi je me loge dans le bâtiment No 2, non loin du Lac Lihua. Sous les arbres et les peupliers de toute beauté, je marche avec mes nouveaux amis et les anciens camarades. Dans notre classe, il y a 11 anciens camarades du lycée , de plus il y a de nouveaux amis venant de toute horizon mais principalement de Shanghai, il y en a ceux qui ont appris l’anglais et par coïncidence acceptés dans la classe du français, d’autres qui ont appris par la Radio de Shanghai, enfin autres qui sont plus âgés que moi, ils sont même mariés. Mais ce qui nous surprend tous, c’est sans aucun doute notre ami-camarade Zu qui, juste à l’entendre, tu penses que c’est un Shanghaien de pure laine, mais si tu le regardes, mon dieux, c’est un vrai Caucasien, les yeux bleus, cheveux châtains, taille plus de1.85, caractère bon vivant, j’apprends un peu plus tard qu’il est métisse. Son père est un professeur à l’école, qui a étudié en France et s’est marié avec une Française il y a 40 an. Zu parle le français avec sa mère et bien sur le Shanghaien avec son père, Comme tout le monde il fréquente l’école sauf il est l’objet de l’attention du public vu son apparence physique. Après l’école secondaire, il devrait travailler à la campagne mais finalement il travaille dans un atelier appartenant au quartier. Ce qui est remarquable, c’est que quand il parle la langue de sa mère, c’est un vrai accent parisien, quel plaisir de converser avec quelqu’un à ma hauteur. Il dort juste en dessus de mon lit, on est 6 dans la chambre avec 4 lits doubles, et je me souviens des bons moments passés ensemble.
Comme cours de français on commence à toucher la littérature française, mais en générale, ensuite on a un cours offert par le cher professeur Zhu Yuting, qui, diplômé de l’université d’Aurore, nous livre tous ses bagages. Comment bien écrire, il a de la patience à corriger mon français. Si l’enseignement secondaire du prof Wu (un autre diplômé de l’université d’Aurore) me donne l’envie d’appréhender cette belle langue, prof Zhu consolide ma passion et me donner le gout d’aller un peu plus loin. Malheureusement il sera décédé quelques années plus tard. Il faut aussi mentionner le jeune professeur Jing, il est jeune, dynamique, et très débrouillard. Chargé de nous enseigner le cours de traduction, il nous dévoile comment bien traduire un proverbe chinois en proverbe français. Je me souviens encore d’humour quand il traduit les expressions telles que : à bon chat bon rat, couper les cheveux en quatre, je donne la langue au chat, etc., c’est quelqu’un à qui je dois beaucoup et inutile de vous dire que j’ai du respect pour lui. Il travaille et vit en ce moment à Paris.
Ce qui me retient de mes six mois de vie à l’École, c’est le fameux pacte entre moi et le camarade Wang. Je m’explique. Nous sommes de bons camarades au lycée et maintenant sur les mêmes bancs à l’école. On s’entend entre nous que dorénavant, on ne se communique qu’en français, ce qui semble invraisemblable au départ, les chinois parlent le français entre eux? Mais je veux essayer. Tous les soirs à 8.00, on se donne le rendez-vous au pont du lac Lihua et sans sujet ni contrainte de temps on commence à jaser en français. Je me souviens encore de la silhouette de mon ami et celle à moi, un certain reflex du lac, quand je réfléchis la tête fichée au lac. Cette nouvelle circule à l’école. Il y a des curieux venant nous voir, nous rejoindre, enfin tout le monde sur le pont doit converser en français. Si j’ai de la facilité à parler le français, je dois beaucoup à mon partenaire, le camarade Wang. Notre partenariat devient un model à suivre en classe, et une légende à l’école.
Le 15 avril 1978, sous la recommandation des profs, j'ai participé à un autre examen de l’école. Au départ je ne sais pas de quoi il s’agit. Comme j’adore cette langue, je le passe sans trop de difficultés. Un peu plus tard, on me dit que je devrai passer un autre concours national à la grandeur du pays. Là je sais que ce sera pour aller étudier en France. Aller à Paris? J’en rêve. Un nouveau défi m’attend.
Je ne crois pas à mes oreilles, mais c’est vrai. La Chine ouvre doucement sa porte. Le pays envoie ses premiers étudiants en France en1964 après 15 ans de socialisation. Or on est d’accord que connaitre les langues étrangères c’est important, ne serait-ce que aider les pays du tiers monde ou propager la pensée de Mao à travers les 5 continents selon le slogan de l'époque.
Prof Zhu et Jing m’ont beaucoup aidé à préparer le fameux concours. Il y aura une centaine de candidat à Shanghai venant principalement de Fudan, de l’Institut des langues et de Huadon.
Ce sera un examen de va vie, lequel va bouleverser ma vie et ma carrière. Je ne veux pas le louper.
Le 27 juin Li qui est notre moniteur vient m’annoncer que j'ai bien réussi à l’examen et je vais partir pour la France. Je saute de joie, difficile à camoufler mon émotion. Quel beau rêve. Les camarades m’envient, les félicitations viennent à flot, mais aussi l’envie des uns et la déception des autres. Je ne peux retenir mes larmes. Je console Wang qui n'a pas réussi. Li a aussi passé l’examen comme moi et nous nous envolerons ensemble. Autrement dit.mes 4 ans d’étude universitaire seront raccourcies en 6 mois seulement, car je vais les poursuivre en France. C’est merveilleux.
Le 19 juin c‘est la fin du trimestre, mais pour moi, c’est le début d’une longue marche. Selon le programme je vais partir bientôt à Pékin. Comme d’habitude, mes parents ont préparé encore une fois un gros party pour souligner mes succès....Mais ma pensée est déjà ailleurs. |